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Huit jours après les deux visites que Derville avait faites, et par une belle matinée du mois de juin, les époux, désunis par un hasard presque surnaturel, partirent des deux points les plus opposés de Paris, pour venir se rencontrer dans l'étude de leur avoué commun. Les avances qui furent largement faites par Derville au colonel Chabert lui avaient permis d'être vêtu selon son rang. Le défunt arriva donc voituré dans un cabriolet fort propre. Il avait la tête recouverte d'une perruque appropriée à sa physionomie, il était habillé de drap bleu, avait du linge blanc, et portait sous son gilet le sautoir rouge des grands-officiers de la Légion d'honneur1. En reprenant les habitudes de l'aisance, il avait retrouvé son ancienne élégance martiale. Il se tenait droit. Sa figure, grave et mystérieuse, où se peignaient le bonheur et toutes ses espérances, paraissait être rajeunie et plus grasse, pour emprunter à la peinture une de ses expressions les plus pittoresques2. Il ne ressemblait pas plus au Chabert en vieux carrick, qu'un gros sou ne ressemble à une pièce de quarante francs nouvellement frappée. A le voir, les passants eussent facilement reconnu en lui l'un de ces beaux débris de notre ancienne armée, un de ces hommes héroïques sur lesquels se reflète notre gloire nationale, et qui la représentent comme un éclat de glace illuminé par le soleil semble en réfléchir tous les rayons. Ces vieux soldats sont tout ensemble des tableaux et des livres. Quand le comte descendit de sa voiture pour aller chez Derville, il sauta légèrement comme aurait pu faire un jeune homme. A peine son cabriolet avait-il retournée, qu'un joli coupé tout armorié arriva. Madame la comtesse Ferraud en sortit dans une toilette simple, mais habilement calculée pour montrer la jeunesse de sa taille. Elle avait une jolie capote3 doublée de rose qui encadrait parfaitement sa figure, en dissimulait les contours, et la ravivait. Si les clients s'étaient rajeunis, l'étude était restée semblable à elle-même, et offrait alors le tableau par la description duquel cette histoire a commencé.
1) Quel est le point de vue narratif adopté dans ce passage? Justifiez votre réponse. (/1)
2)
a) Indiquez le temps et le mode de «partirent» l. 3, «furent
faites» l. 5, «avaient permis» l. 5-6, «avait»
l. 7, «sauta» l. 22 et donnez leur valeur. (/2,5)
b) Que pouvez-vous en conclure sur les
formes de discours auquel ce texte fait appel ? (/1)
3) Relevez les mots et expressions qui désignent Chabert. Quelle image du personnage donnent-elles? (/2)
4)
a) En quoi peut-on dire que Chabert offre un tableau pittoresque? (/2)
b) A quelle autre référence
à la peinture ce passage fait-il écho? (/1)
c) En quoi ces deux portraits de Chabert
s'opposent-ils? (/1)
5) Quel est l'état d'esprit de Chabert au moment où il arrive chez Derville? Justifiez votre réponse en citant le texte. (/0.5)
6) Indiquez le temps et le mode de la forme «eussent reconnu» l. 14-15. Par quelle forme d'un autre mode pourrait-on la remplacer? (/1.5)
7) Relevez les expansions des noms «toilette» l. 24 et «capote» l. 26. Indiquez la nature de chacune. (/2.5)
8) Quels aspects du caractère de la comtesse ces expansions révèlent-elles? (/2)
9) Quels espoirs et quelles craintes ce passage fait-il naître quant aux événements qui vont suivre? (/2)
Un point est réservé à l'évaluation de l'orthographe.
1 Légion d'honneur: décoration instituée par Bonaparte en 1802, matérialisée par le «sautoir rouge»
2 Pittoresque: qui frappe la vue par sa beauté, sa vivacité, ses couleurs